Nous voici de retour pour parler culture et philosophie liées a la sexualité, avec l’ouvrage le plus célèbre lié au sexe dans nos esprits occidentaux : le Kama Sutra.
Beaucoup de personnes l’ont déjà touché du doigt d’une certaine manière, mais peu de personnes connaissent réellement sa riche histoire et comment il nous a été transmis. Quelles sont les origines du Kama Sutra ?
C’est parti pour une plongée dans les entrailles du texte de littérature érotique le plus influent jamais écrit.
Et pour vous accompagner dans cette lecture, voici le trip-hop envoûtant de Portishead…
Sommaire
De quand date le Kama Sutra ?
On date l’écriture du Kama Sutra vers 320-550 en Inde (pendant l’âge d’or des Gupta). Son titre se traduit approximativement par “L’aphorisme du désir”.
Alors c’est vrai, on le voit plutôt comme un livre coquin trouvé dans la bibliothèque d’une tata hippie, avec ses illustrations osées et colorées de ce qui semble être une orgie de contorsionnistes.
Pourtant, le Kama Sutra est bien plus qu’une BD érotique…
Les idées reçues sur le Kama Sutra
Le Kama Sutra serait un guide tantrique
L’une des idées reçues les plus répandues concernant le Kama Sutra est la supposition, par les cultures non orientales, que le texte est un guide des rituels liés à la sexualité tantrique.
Or, le tantra n’explique pas du tout la même chose. C’est plutôt, si on simplifie, un guide pour atteindre un état de maîtrise de soi.
Ce sont nos cultures occidentales, qui l’ont associé à des prouesses sexuelles hautement ritualisées (et bon apparemment, selon Freud, nous sommes obsédé.e.s par le sexe, en occident).
Dans le cas du Kamasutra, les positions sexuelles sont certes dictées de manière pragmatique et oui, le texte explique comment le désir est un moyen de se libérer et d’atteindre une forme de félicité. Mais le but de ces exemples est de servir de lignes directrices pour une vie vertueuse (et attention, la vision orientale de la vertu à cette époque n’a rien à voir avec celle de la société judéo-chrétienne occidentale, mais nous y reviendrons).
Le Kama Sutra serait un guide porno
Cette rumeur commence avec l’explorateur et écrivain victorien Sir Richard Burton. L’un des orientalistes les plus influents de l’époque, le but de Sir R.B. est alors de faire tomber des tabous sur la sexualité grâce à ses écrits (il faut dire que l’Angleterre de l’époque était super coincée du c*** et que dès qu’on voyageait un peu, la comparaison devait être ultra frustrante!).
Sir Burton s’appliquera par exemple à dresser une liste de la taille des pénis des hommes qu’il rencontre dans différentes parties du monde (les discussions devaient être sympas, aux urinoires…).
Rien de surprenant donc qu’il ait été fasciné par le Kama Sutra et qu’il ait collaboré avec les érudits indiens Bhagwan Lal Indraji et Shivaram Parashuram Bhide pour en produire une version anglaise en 1883.
La publication du Kama Sutra au Royaume-Uni était une initiative audacieuse, compte tenu de la sévérité des lois sur l’obscénité en vigueur à l’époque victorienne. Pour contourner les prudes de son époque, Burton fait imprimer le livre “pour une diffusion privée uniquement”, par l’intermédiaire d’une organisation inventée qu’il appelle la Kama Shastra Society of London (Société du Kama Shastra de Londres). Son impact culturel a été presque immédiat. Le livre a été largement piraté à la fin de l’ère victorienne, les éditions clandestines ne faisant souvent aucune référence à Burton lui-même.
Les références aux organes sexuels masculins et féminins furent délibérément mal traduites, les termes les plus explicites du texte original étant remplacés par les termes sanskrits “lingam” et “yoni”.
L’objectif était de rendre le texte plus acceptable pour les Anglais prudes de l’époque victorienne, en leur assurant qu’il ne s’agissait pas de véritables organes sexuels, non pas leurs organes sexuels, mais simplement des appendices de personnes bizarres, à la peau sombre, qui vivaient dans un pays lointain.
Bien entendu, cette traduction occulte et élude également des éléments importants de l’original, en omettant par exemple les références au point G de la femme et à “l’importance du plaisir féminin”.
Bien que considérée rétrospectivement comme une traduction extrêmement inexacte et trompeuse (en plus d’être misogyne et raciste, donc), ce sont les positions sexuelles décrites dans la version de Burton qui ont attiré l’attention des gens.
Le Kama Sutra ne devint légal au Royaume-Uni qu’en 1963, juste à temps pour coïncider avec les révolutions sexuelles et culturelles qui se répandaient dans tout l’Occident. Et c’est donc à ce cher Richard que nous devons l’idée erronée que le Kama Sutra est un livre parlant exclusivement de sexe (vive le colonialisme et l’appropriation culturelle, n’est-ce pas ?).
Rendons à César ce qui appartient à César…
Le Kama Sutra aurait été écrit vers l’an 300 par un étudiant philosophe hindou nommé Vātsyāyana Mallanaga, dont les historiens ne connaissent que le nom. Cependant, le livre serait en fait un recueil de textes antérieurs, que l’auteur aurait simplement assemblés. Les spécialistes de l’analyse du texte pensent qu’une grande partie du livre pourrait avoir été écrite par des femmes.
Dans son introduction, en effet, l’auteur dit qu’il a puisé toutes ses informations dans des textes écrits mille ans auparavant, et qu’il a pratiquement copié et collé les parties qui lui plaisaient.
Selon la mythologie indienne, certains de ces textes originaux auraient été écrits par l’épouse du dieu de l’amour lui-même, Kama.
D’autres histoires suggèrent que les courtisanes de l’époque ont payé pour que le livre soit écrit. La célèbre section sur le sexe (section 2 sur 7) pourrait avoir été écrite par une femme en raison de l’importance qu’elle accorde au plaisir des femmes, ce qui était encore radical à l’époque où elle a été rédigée.
Pourquoi le Kama Sutra a-t-il été écrit ?
C’est un traité scientifique conforme à la conception traditionnelle de l’Inde ancienne, selon laquelle la sexualité relève de la physiologie et de la vie religieuse, non pas de la morale.
Tout d’abord, le livre est basé sur l’hindouisme, ce qui signifie qu’il s’agit techniquement d’un texte religieux. Dans l’hindouisme, il existe quatre principes, ou objectifs, de la vie humaine que tout le monde doit atteindre :
- Dharma (devoir et vertu)
- Artha (but et essence)
- Kama (désir et passion)
- Moksha (réalisation de soi)
Le Kamasutra était essentiellement un guide pour vivre pleinement et en accord avec la religion de l’époque.
Seuls 20 % environ du livre – un chapitre, pour être exact – traitent des positions sexuelles. Le reste du livre traite du désir, de la luxure, de la séduction et de la philosophie de l’amour.
N’oublions pas que dans l’Inde ancienne, le sexe et la sexualité occupaient une place importante dans la culture indienne. La polygamie et le polyamour étaient courants, en particulier dans les classes supérieures. La nudité dans l’art était abondante et le sexe était considéré comme un devoir conjugal, non seulement pour la femme et les concubines, mais aussi pour le mari. Bien qu’il s’agisse d’une affaire privée, les deux partenaires étaient censés se donner du plaisir pendant l’acte.
Le texte est incroyablement détaillé, couvrant tout, de la façon de savoir si quelqu’un vous trouve attirant et comment flirter, jusqu’à la dynamique du mariage et de la vie de famille. Lorsque le texte aborde la sexualité, il examine de très près les moindres subtilités de l’acte, analysant de manière quasi scientifique tous les aspects de l’acte, de l’emboîtement des corps aux sons émis par les amants dans les moments de passion.
Différentes catégories de gémissements sont soigneusement décrites, notamment le “gémissement”, le “babillage”, la “plainte” et le “cri”. En effet, l’auteur nous rappelle judicieusement que “des cris comme ceux des colombes, des coucous, des pigeons verts, des perroquets, des abeilles, des poules d’eau, des oies, des canards et des cailles sont des options importantes à utiliser dans les gémissements”.
L’auteur est tout aussi rigoureux dans la description des positions sexuelles, nommant une variante notable “la liane qui s’entortille” et décrivant à un moment donné comment “les cuisses sont utilisées comme une pince”.
Comment le Kama Sutra se compose-t-il ?
Le Kama Sutra est principalement écrit en prose sous forme de vers, divisé en 36, parfois 35, chapitres et sept parties.
1) Dattaka – Principes généraux
Le livre commence par une introduction et un historique des quatre objectifs de la vie hindoue. Il comprend des conseils et une philosophie sur des sujets tels que la manière de mener une vie honorable et d’acquérir des connaissances. Divisée en quatre chapitres, cette première partie traite de l’amour en général, ainsi que du rôle des “intermédiaires”, ou ailiers, qui aident à trouver un amant et à atteindre les objectifs de la vie.
2) Suvarnanabha – Avances amoureuses et union sexuelle
La deuxième partie aborde directement le contenu sexuel que de nombreuses personnes associent au Kamasutra. On y trouve des détails sur 64 types d’actes sexuels différents, allant de l’étreinte et du baiser à des actes plus agressifs tels que l’empoignade et la gifle (et le marquis de Sade peut donc aller se rhabiller). Elle est la partie la plus connue et contient 10 chapitres sur les positions sexuelles, les techniques sexuelles telles que le sexe oral et anal, les morsures, les gémissements, les gifles et les préliminaires.
3) Ghotakamukha – L’acquisition d’une épouse
La troisième partie est consacrée à la vie d’un célibataire et aux moyens de courtiser une femme en vue du mariage. Ces méthodes sont principalement basées sur la compatibilité astrologique et les avantages du mariage pour les familles concernées, conformément au système social des castes en Inde.
4) Gonardiya – Devoirs et privilèges de l’épouse
La quatrième partie aborde le point de vue de l’auteur sur les devoirs traditionnels d’une épouse : cuisiner, nettoyer et servir son mari. Cette section semble déplacée par rapport aux relations et aux points de vue modernes sur les rôles des hommes et des femmes, mais il ne faut pas oublier qu’elle a été écrite il y a des milliers d’années, à une époque et dans un lieu différents.
5) Gonikaputra – Amis et famille
La cinquième partie décrit les rôles des différents sexes dans les relations non sexuelles. Elle enseigne comment comprendre les émotions et examine les moyens d’approfondir les liens entre la famille et les amis.
6) Charayana – Les courtisanes
La sixième partie explore l’utilisation par un homme de courtisanes, ou prostituées, pour prendre confiance en ses capacités sexuelles avant de rechercher une épouse. Elle donne également des conseils sur la façon de réparer les relations passées avec les amis et les amants, sur la façon de devenir riche et sur ce qu’il faut rechercher chez un partenaire engagé.
7) Kuchumara – Pratiques occultes
Le livre se termine par une section sur les légendes, les mythes et les pratiques sexuelles. Cela comprend la toilette personnelle, l’utilisation de parfums et d’huiles, et les remèdes homéopathiques pour les problèmes sexuels.
Un ouvrage sans âge et toujours d’actualité
Le Kamasutra, comme tous les textes de l’Inde ancienne, peut être également lu comme une allégorie de l’union (yoga) au Divin.
Il n’est donc pas seulement consacré à la sexualité humaine, et traite également d’un mode de vie qu’une personne cultivée se devait de connaître. Il aborde par exemple l’usage de la musique, la nourriture, les parfums…
À l’époque où l’ouvrage a été rédigé, la femme jouissait d’une liberté certaine et est présentée comme puissante. On trouve dans l’ouvrage les habituelles injonctions pour l’« épouse fidèle » qui s’occupe de la maison, mais elles côtoient d’autres conseils pour la séduction et la manière de tromper son époux. Le remariage des veuves, qui sera interdit plus tard dans l’histoire de l’Inde, est alors décrit comme acceptable et le sati (sacrifice de la veuve sur le bûcher de son mari) n’est pas mentionné dans l’ouvrage original.
Par ailleurs, le Kāmasūtra explique aussi comment prendre du plaisir seul.e. Cet ouvrage visionnaire incite aussi les femmes et même les courtisanes (devadâsî) à se battre pour gagner leur vie et ne pas se laisser dominer par les hommes tandis que la société de l’époque reste très patriarcale (à titre d’exemple dans la société de cette époque, une femme pouvait être tuée pour un adultère alors qu’un homme, non).
Le Kâma-Sûtra indique que les désirs des femmes doivent être respectés, et qu’il s’agit là d’une condition nécessaire à leur épanouissement. Le livre condamne les mariages forcés, clamant que l’union physique doit être précédée par une union intellectuelle entre les deux partenaires, pour garantir l’harmonie du couple.
En définitive, le Kāmasūtra est donc un des seuls, si ce n’est le seul ouvrage médiéval qui donne la parole et une place aux femmes.
Le texte aborde également les relations entre personnes du même sexe et traite des personnes qui remettent en cause les normes de genre et incarnent une “troisième nature”.
Positions sexuelles du Kama Sutra
Si la plupart des positions sont complexes et difficiles, certaines sont suffisamment faciles à essayer, même si vous n’êtes pas gymnaste.
En voici quelques exemples :
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La tigresse
Cette position est similaire à la position de la cowgirl inversée. Pour commencer, l’un des partenaires s’allonge sur le dos et l’autre monte dessus, assis bien droit mais tourné vers les pieds de son partenaire. La personne qui se trouve au-dessus se balance d’avant en arrière, contrôlant ainsi le rythme et la profondeur de la pénétration.
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L’étreinte du lait et de l’eau
L’un des partenaires s’assoit sur une chaise, de préférence sans bras. L’autre partenaire s’assoit sur lui, face à lui.
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La position de l’agrippement
Cette position est une variante de la position du missionnaire. Les deux partenaires s’allongent sur une surface confortable, les jambes tendues et alignées. L’un des partenaires s’allonge sur l’autre, les ventres se touchant, tandis que l’autre partenaire pousse à partir de la position inférieure.
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Reine du ciel
L’un des partenaires est allongé sur le dos, les genoux pliés vers la poitrine. L’autre partenaire place ses cuisses à l’extérieur des jambes pliées de l’autre personne et se penche vers l’avant.
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Danseur de ballet
Une personne se tient debout et se tient en équilibre sur un pied, puis enroule sa jambe opposée autour de la taille de son partenaire pour le soutenir.
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Fendre le bambou
Une personne s’étire à plat et déplace son poids d’un côté, puis lève une jambe et la pose sur l’épaule de son partenaire. L’autre jambe reste tendue sous le partenaire.
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Le cadenas
L’un des partenaires s’assoit sur une surface ferme, comme une table, et s’incline légèrement vers l’arrière. L’autre partenaire se penche, soulève le bassin de l’autre personne et l’enveloppe solidement. Ensuite, la personne assise serre ses pieds ensemble derrière le dos du partenaire debout.
Ce qu’il faut retenir
Le Kama Sutra offre une vision holistique et positive de la sexualité, impressionnante pour un livre écrit il y a près de 2 000 ans. Mais surtout, le livre traite de bien plus que de simples positions sexuelles. Il s’agit en fait d’ajouter du raffinement, de l’élégance et de la variété à la vie quotidienne et d’entretenir la passion.
De plus, bien qu’il ait été écrit il y a des milliers d’années, cet ouvrage est étonnamment ouvert d’esprit, progressiste et ne craint pas de remettre en question les contraintes sociales.
Si vous souhaitez vous inspirer du Kama Sutra, nous vous recommandons d’en trouver une traduction moderne (et exacte), comme celle de Frédéric Boyer, et de rechercher des auteurs indiens spécialisés dans ce domaine. Si vous lisez le livre, pourquoi ne pas essayer quelque chose de nouveau que vous n’avez jamais essayé auparavant ?
En ce qui concerne la sexualité, la plus grande leçon à tirer du Kama Sutra est peut-être la suivante : le sexe fait partie d’une vie pleine, saine et bien vécue, et ça vaut la peine de s’éduquer continuellement !
En vous souhaitant, sur tous les plans, bien du plaisir…
SOURCES
Gode is Love applique des directives strictes en matière de sources d’information et s’appuie sur des livres et sites web de professionnels du secteur, et des études évaluées par des pairs, des instituts de recherche universitaires et des associations médicales.
Voici les sources que nous avons utilisé pour la rédaction de cet article :
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“The Kamasutra: It Isn’t All About Sex” livre par Wendy Doniger
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“Sexualité : quelle est l’origine du Kamasutra ?” – Article sur le site Futura Sciences
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“Rediscovering the Kamasutra: A New, Definitive Translation” livre par Wendy Doniger et Sudhir Kakar
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“The Culture and Civilisation of Ancient India in Historical Outline” par D. D. Kosambi
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“A brief history on an ancient guide to sex: The Kama Sutra” – Article sur le site The Daily Campus, 2017